Lecture des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos 

 

Samedi 7 août 2021 cour du Palais Synodal

 

Théâtre de Sens

 

photos Léo Paget

 

« J’ai vu les mœurs de mon temps et j’ai publié ces lettres. »

Citation de J.-J. Rousseau (La Nouvelle Héloïse) en préface aux Liaisons dangereuses

Publié 7 ans avant la prise de la Bastille, le roman de Laclos est une dénonciation de la classe gouvernante. Enfermée dans leur tour d’ivoire, la majeure partie de l’aristocratie se livre au libertinage sans percevoir qu’elle travaille à sa propre destruction.

 

Mais une dénonciation n’est pas une condamnation. On s’attache à Valmont et à Merteuil qui se débattent entre l’orgueil et les besoins du cœur. A travers leur soif de contrôle, le libertinage apparaît comme un système de protection contre les violences de la passion, la dépossession de soi, la perte d’identité. Le libertin espère contrôler son désir en manœuvrant celui d’autrui. Pourtant il tombe amoureux. La polysémie des Liaisons dangereuses reflète les contradictions de son temps : optimisme des Lumières contre inquiétude de la fin du siècle, libertinage contre hymne à la passion, technicité des écrits militaires contre les élans lyriques.

 

L’adaptation a choisi le personnage de Danceny comme fil conducteur. Le spectacle commence après le duel où il reçoit la correspondance entre Merteuil et Valmont, et devient, malgré lui, le détenteur de la vérité. Devant les spectateurs et lui, défilent, en flashbacks, les épisodes passés. Pourquoi Danceny ? Il est tout d’abord au cœur de l’intrigue, tour à tour sujet et objet, recevant les confidences des principaux personnages. Ensuite, sa complexité l’amène du stéréotype parfait du jeune premier à un Valmont en puissance. Enfin, un dénouement n’est pas une conclusion : au moment où 

Cécile de Volanges part au couvent et Danceny à Malte, l’éditeur des Lettres écrit qu’il est «forcé de s’arrêter ici » et qu’il ne peut donner au lecteur « la suite des aventures de Mademoiselle de Volanges ». La fin reste ouverte. Danceny, issu d’une bonne famille mais désargenté, n’appartient pas à la caste dénoncée par Laclos. Par sa jeunesse, il incarne la nouvelle génération. Saura-t-il construire au lieu de détruire ? La mise en scène pose la question sans y répondre, laissant au public le choix de la fin.

 

La scénographie, les lumières, les costumes dessineront un «no man’s land», un lieu vidé de ses meubles, symbole du temps passé de l’aristocratie, qui a été, qui voudrait être encore mais qui n’est plus. Quelques voilages qui tombent des cintres. Un éclairage en pénombre pour ne pas voir la décrépitude. Des costumes 18ème usés, sans éclat, devenus pastels à force d’avoir été exposés au soleil.

 

Au milieu de ce chaos, la langue de Laclos est préservée et avec elle la multitude de ses registres : l’épique cornélien, le lyrisme racinien, l’ironie, le persiflage et l'humour des Lumières. Tout est drame mais tout est aussi parodié par les personnages eux-mêmes. C’est grâce à cette touche de légèreté, à cette mise à distance continuelle, que le roman préserve sa modernité et son aspect révolutionnaire.